Musique et apocalypse : La dissonance du contemporain

Jeudi 23 février 2023

13h15 - 16h00

Les traits culturels de notre époque, au croisement de l’effondrement économique et écologique, s’inscrivent dans un « mode apocalyptique » de lecture de la contemporanéité. L’insatisfaction générale à l'égard du système capitaliste se double du caractère social et politique de la fin d’un certain monde, issu de la résistance de sociétés étouffées par les violences politiques et les oppressions de toutes les formes de totalitarisme. On assiste dès lors à une sorte d’Unbehagen freudien, de « malaise » au sein du capitalisme libéral. Déjà, un anthropologue italien comme Ernesto De Martino s’était intéressé au discours de la fin du monde dans la conjoncture culturelle particulière des années de la « mutation anthropologique » et de l’« industrie culturelle »; et, en 1980, Jacques Derrida parlait d’ « un ton apocalyptique adopté naguère en philosophie ». Gilles Deleuze, Slavoj Žižek, Giorgio Agamben nous accompagnent dans les dissonances de l’apocalypse, la même question sur la fin, sur les thèmes eschatologiques-messianiques de la fin de l’histoire et des fins de l’homme.

La musique joue certainement un rôle de premier plan dans ce parcours. Et le Docteur Faust de Thomas Mann (1947) en est un guide exemplaire. La reconstruction de la biographie d’un compositeur fictif, Adrian Leverkühn, est centrale : Leverkühn créera l’oratorio Apocalipsis cum figuris, une œuvre « menaçante » animée par le « désir de dévoiler musicalement les choses les plus cachées, la bête qu’il y a en l’homme et, d'autre part, ses motions les plus sublimes ». Tout comme son modèle réel, Arnold Schoenberg, Leverkühn est un musicien expressionniste. Comme Schoenberg, il explore l’inexploré et met au jour les solutions dissonantes du credo messianique de l’apocalypse inaugurant la contemporanéité. L’Apocalipsis cum figuris est une œuvre imaginée par Mann comme grandiose, proche de la Divine Comédie de Dante et du Jugement dernier de Michel-Ange, jusqu’à la 9e Symphonie de Beethoven. Mann l’appellera « La peinture sonore de Leverkühn ». Adorno, Mann, Schoenberg, leurs réflexions et dissensions à Pacific Palisades, en Californie, où tous trois passèrent leurs années d’émigration : une contemporanéité différente, qui traverse la musique, s’employant à penser dialectiquement pour construire une logique par contradiction, une logique de la désagrégation comme force critique qui non seulement accompagne la décadence, mais trace une voie de refondation.


Mariella Pandolfi

Les champs d’intérêt de Mariella Pandolfi reflètent une expérience de vie partagée, depuis plus de trente ans, entre le Canada et l’Europe. Parallèlement à sa carrière d’enseignante à Montréal, elle a effectué des recherches dans les territoires postcommunistes, en particulier en Albanie, en Bosnie et au Kosovo, et a agi à titre d’experte en matière de conflits, d’interventions humanitaires et de migrations auprès d’organisations et de fondations internationales. 

Depuis 1994, elle a été professeure titulaire au Département d’anthropologie à l’Université de Montréal et a été invitée dans de nombreuses universités d’Amérique du Nord et d’Europe. Depuis 2000, elle a codirigé le Groupe de recherche sur les interventions militaires et humanitaires (GRIMH). Elle est membre du groupe de recherche IRTG Diversity de l’Université de Montréal ainsi que de l’Institut interdisciplinaire d’anthropologie du contemporain (IIAC), à Paris. Depuis 2019 elle est professeur émérite à l’Université de Montréal. 

Elle a publié de nombreux livres et articles en plusieurs langues a reçu en 2004 le prix Femmes de mérite de la Fondation Y des femmes de Montréal dans le domaine de l’éducation et de l’enseignement universitaire. En 2012, elle a été faite chevalière de l’Ordre du mérite de la République italienne.

Sa passion pour la musique, et surtout pour l’opéra, a marqué sa vie familiale et personnelle depuis l’enfance. Ses liens de parenté avec Giacomo Puccini du côté paternel et son oncle ténor du côté maternel lui ont permis de rencontrer de nombreux protagonistes de la scène musicale internationale, ce qui a été déterminants pour sa formation musicale.